Construction du FUP : d’une ingénierie numérique à une conception sur mesure

Urbanisme

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Retour sur la réalisation d'un ouvrage d'art singulier

Des milliers de tonnes d’acier suspendues au-dessus de 300 mètres de voies ferroviaires, reliant les quartiers du Landy à Pleyel... quand on pense à la construction du Franchissement Urbain Pleyel, “artisanal” n’est pas le premier mot qui vient en tête. Et pourtant, le chantier a nécessité une bonne dose d’ajustements et de travail sur-mesure.

Pour MAEG, société de construction spécialisée dans les structures en acier basée près de Venise, tout commence à la réception du dossier de consultation aux entreprises. Comment se lancer dans la fabrication de ce franchissement urbain géant ? Comment traduire l'œuvre en éléments d’acier ?

Au dessin d’architecte, il a fallu d’abord implémenter le savoir-faire du charpentier : « On refait une maquette 3D qui diffère de l’ouvrage de conception dès lors qu’on y a injecté notre méthodologie » explique Sokhna Ndiaye, directrice MAEG France. L’idée est de découper virtuellement le pont en morceaux en fonction d’un ensemble de contraintes liées à leur fabrication, à leur acheminement, et à leur assemblage sur site. « C’est l’acheminement qui détermine comment on le construit. On s’assure que le découpage soit le plus optimisé possible. L’idée c’est de ne pas avoir des travaux d’assemblage trop compliqués sur site, car les capacités à l’usine sont supérieures. » C’est le cas notamment pour le tablier du pont. Il est décomposé en caissons d’une quinzaine de tonnes, composés de tôles d’acier.

Les grandes forges

La fabrication des caissons - en partie automatisée - se fait donc à l’usine. Pour Blaise Tane, chef de projet pour Plaine Commune : « C’est la rencontre entre la grosse industrie, les grandes forges avec ce côté très XIXème siècle, et un savoir faire très moderne, à partir de calculs très complexes sur ordinateur. » On envoie des fichiers numériques aux machines qui découpent la tôle mère en éléments 2D à assembler. La forme particulière de l’ouvrage ne permet pas d’industrialiser davantage, le montage et les soudures des raidisseurs doivent être réalisés à la main par les ouvriers. Dimensionnés pour le transport routier normal, ils sont envoyés un à un par camion en direction de Saint-Denis. Mais avant, un pré-assemblage “à blanc” est fait à l’usine s’assurer que tous les joints soient égaux à la modélisation et ainsi limiter les ajustements de dernière minute sur site.

Certaines pièces ont nécessité un travail plus minutieux encore : les bulles. Ces squelettes de baleine en métal ont été imaginés par l’architecte Marc Mimram comme des lieux “habités” accueillant des activités commerciales ou culturelles une fois le pont construit, mais également des éléments de structure. « Si on n’avait pas les bulles, la structure porteuse de la charpente serait dans le tablier et celui-ci serait beaucoup plus épais. Ce qui avait son importance puisqu’on passe juste au-dessus des voies ferrées » ajoute Blaise Tane.

Sokhna Ndiaye précise la méthode : « Quand on parle d’artisanat, c’est particulièrement vrai sur les nez de bulle, qui sont les parties aux extrémités. L’épaisseur des tôles est au-delà des plieuses classiques. On parle de 7 à 9 cm d’acier à plier dans plusieurs sens. On a trouvé quelqu’un pour faire un premier pliage, et ensuite on a tout rectifié à la main pour venir cintrer le nez de bulle avec la géométrie dessinée par l’architecte. » Parmi ces pièces, certaines excèdent les dimensions d’un camion, elles partent alors en convoi exceptionnel.

 

Un lançage acrobatique

Une fois sur site, c’est le moment de vérité. Pour enjamber les 300 mètres de voies ferrées, le FUP a dû être “lancé”. C’est-à-dire que les caissons n’ont pas été accrochés successivement les uns aux autres au-dessus du vide, le tablier a été assemblé et soudé sur des plateformes au bord de l’infrastructure ferroviaire, puis tiré vers sa position finale. Habituellement, un lançage consiste à tirer ou pousser un ouvrage sur des éléments rectilignes. On dispose des galets provisoires en dessous et l’ouvrage roule comme sur des rails. Dans le cas du FUP, la difficulté tient à sa forme asymétrique : il a une courbure horizontale et verticale qui oblige à déplacer les galets pendant l’opération pour garder un soutien. « Si les galets ne sont plus sur la poutre capable de les recevoir, vous plantez l’ouvrage prévient Sokhna Ndiaye. Vous faites des trous dans les caissons parce qu’ils sont vides. »

 

 

Pour cette manœuvre, MAEG a dû créer de toutes pièces un système de vérins hydrauliques transversaux et longitudinaux, afin d’aligner en temps réel les galets aux poutres de ripage. Ils reposent sur huit lignes perpendiculaires à l’ouvrage. Sur chacune, quatre opérateurs et un chef d’équipe contrôlent le bon déroulement de l’opération. « Là, on fonctionne à 90% au cerveau humain affirme Sokhna Ndiaye. Le traitement ne peut pas être automatisé. C’est arrivé que ce soit arrêté à la seconde près. » L’opération est donc très lente : quelques mètres par heure. Elle suit un parcours qui a été modélisé sur logiciel par séquences de 30 cm. Trois lançages ont été nécessaires pour assembler les tronçons de la passerelle piétonne du FUP. Quant à la partie pont routier, elle est en cours. Le chantier est suspendu pendant les Jeux Olympiques et reprendra au printemps 2025.

Une affaire de temps long

Le calendrier tient un rôle à part entière dans cette entreprise. Car une spécificité non négligeable du chantier est qu’il passe au-dessus de 48 voies ferrées. Un tiers d’entre elles sont des voies de circulation de la gare du Nord, parmi la plus fréquentée d’Europe. Le reste est un technicentre SNCF, un site industriel ultra-protégé qui fonctionne 24/24. « Il n’y a aucun appui dans les voies principales pour déranger le moins possible, explique Blaise Tane. En revanche, dans le technicentre il a fallu supprimer trois voies pour construire les piles qui soutiennent l’ouvrage. » Pour que l’outil industriel n’y perde pas, ces trois voies ont été reconstituées dans un autre dépôt deux ans avant le début des travaux du FUP.

 

« Cela a nécessité une mise au point assez longue, poursuit le chef projet chez Plaine Commune. Les études de conception ont systématiquement été partagées et validées avec la SNCF ». Pour limiter l’impact sur le trafic, des fenêtres d’interruption de la circulation de 44h sont accordées pour permettre les opérations de lançage de la charpente. Ce planning est acté trois ans à l’avance et il n’est pas interchangeable. La mise en œuvre opérationnelle est donc conçue de manière suffisamment précise pour que chaque opération puisse être réalisée dans le créneau imparti. Et ce, malgré les aléas tels que les pannes, le gel, les confinements ou encore les tensions d’approvisionnement pour certains matériaux…

En juin, la passerelle sera inaugurée et ouverte au public. L’année prochaine, la partie pont sera achevée. Il restera encore à aménager les espaces publics de part et d'autre, notamment pour compenser la différence topographique de 9 mètres qui sépare le FUP du niveau de la rue côté Pleyel.

Dernière étape en vidéo : les essais vibratoires

Le 25 avril dernier, trois semaines avant son inauguration avait lieu l'une des dernières étapes déterminantes de contrôle de la bonne réalisation de l'ouvrage. Le FUP a en effet fait l'objet d'une journée d'essais vibratoires.155 volontaires appartenant aux entreprises et entités partenaires, dont des salariés de Plaine Commune, ont répondu présents pour participer à des exercices physiques réalisés sur le FUP : sauts, courses cadencées et exercices de marche sur toute la longueur du pont. Des exercices qui avaient un but précis : optimiser le confort de la passerelle, notamment les vibrations que l'on pourrait ressentir en cas de forte affluence sur l'ouvrage. Un travail d'équipe qui a permis d'ajuster les derniers réglages avant la mise en service du franchissement. À découvrir en vidéo ci-dessous :