Regarder positivement le territoire : dialogue entre Mathieu Hanotin et Marc Mimram

Saint-Denis | Urbanisme

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Entretien croisé entre le président de Plaine Commune et l'architecte de l'ouvrage.

Alors que le Franchissement Urbain Pleyel a été inauguré le 16 mai dernier, nous avons fait discuter Mathieu Hanotin, président de Plaine Commune et Marc Mimram, architecte du FUP sur ce nouvel ouvrage majeur pour le territoire, ce qu'il raconte de la façon de créer la ville de demain à Plaine Commune et sur l'ambition de tout un territoire.

Quels sont pour vous, les enjeux du territoire et en quoi le FUP est-il un levier de transformation pour les quartiers Pleyel et Landy-France ?

Mathieu Hanotin : Le FUP est au cœur de la transformation urbaine de la ville de Saint-Denis et plus largement de notre territoire. C’est une connexion est-ouest dont nous avions cruellement besoin pour dépasser la coupure historique du faisceau ferré Nord et l’enclavement du quartier Pleyel.

Ce nouvel équipement est au cœur d’un projet urbain ambitieux, qui, avec la gare du Grand Paris Express, le quartier du Village Olympique et la requalification des berges de Seine, va faire de Pleyel la nouvelle polarité du Grand Paris. Cet ouvrage remarquable sur le plan architectural va participer à l’image d’un territoire unique, moderne et central dans la métropole.

Marc Mimram : Franchir une infrastructure c’est toujours franchir une frontière économique et sociale. Dans la partie ouest du faisceau, cela va être un bouleversement. Ce sont d’anciens territoires industriels qui vont devenir un morceau de ville. C’est une des plus importantes réserves foncières à proximité de Paris, c’est gigantesque. Une première action a été d’installer la station Pleyel à Pleyel. C’est un acte fondateur très fort. La station aurait pû être de l’autre côté, mais en l’installant là on a préparé le développement de l’ouest.

" Ce nouvel équipement est au cœur d’un projet urbain ambitieux, qui, avec la gare du Grand Paris Express, le quartier du Village Olympique et la requalification des berges de Seine, va faire de Pleyel la nouvelle polarité du Grand Paris."

Mathieu Hanotin, président de Plaine Commune et maire de Saint-Denis

 

Arrive alors la nécessité de créer un lien entre les deux réseaux de transport en commun. Les lignes 14, 15, 16, 17 du côté ouest avec le hub du Grand Paris Express, et à l’est la ligne D, puis à terme la H. Faire une liaison métro-métro, ça aurait voulu dire que les habitants n’auraient pas pu accéder à l’ouest sans acheter un ticket de métro. Ça aurait été un boyau. Donc, le second acte majeur est d’avoir décidé que la liaison soit publique. Ça change tout. À la simple liaison fonctionnelle, on a substitué une liaison généreuse à l’air libre. Les conditions sont là pour en faire un espace majeur. On n’est plus là en train de franchir la frontière, on est en train de lier les deux parties de la ville en développement.

Quelle conception de la ville de demain le FUP matérialise-t-il ?

MH : Les mots-clés de ce projet, ce sont la connexion et l’inclusion. Dans la ville de demain que nous portons, il ne peut pas y avoir de quartiers isolés, d’habitants qui se sentent à l’écart. Nous jetons des ponts, pour créer un espace public de qualité qui soit accessible et agréable à toutes et tous.

Le franchissement urbain, c’est aussi l’incarnation d’une ville durable et apaisée, réservée aux mobilités douces et aux transports en commun, connectant deux des plus grandes gares d'Île-de-France.

MM : On ne peut pas imaginer la ville de demain comme monofonctionnelle. La charte d’Athènes(1) est morte, les réflexions aujourd’hui ne sont plus les mêmes. La ville de demain doit être mixte et transformable. Les parkings aériens dans des villes pourront devenir des bureaux, qui deviendront des logements... Le FUP permet cela. Les parties est et ouest ont été pensées sans présager les futurs quartiers. Il faut imaginer une ville transformable, qui se régénère sur elle-même. Ce qui fait sens en commun, c’est cet espace public. Pas une prouesse d’ingénieur, mais un lieu partagé.


Comment s’est imposée l’idée d’un pont « habité », à la fois structurant pour les mobilités et ouvert aux activités culturelles et commerciales ?

MM : Que ce soit clair, l’inspiration historique ne se limite pas au Ponte Vecchio de Florence. Les ponts habités étaient courant jusqu’au XXème siècle. Aujourd’hui il y a plein d’exemples en Arabie Saoudite ou d’autres aux États-Unis. Cette question de pont habité est encore d’actualité et elle ouvre des problématiques particulières sur la relation entre l’infrastructure et la ville.

Mon attitude sur ce projet, et sur bien d’autres, c’est de regarder l’ouvrage de manière positive et pas seulement fonctionnelle. Il y a les conditions initiales du projet, auxquelles j’adjoins mes conditions : celles de la générosité des espaces publics, de la réappropriation des grandes nefs et la jonction d’un parc habité. Cette générosité, cette attention portée à l’ouvrage me paraît centrale. L’espace public est par essence l’espace de la démocratie, un espace offert à tous. Je pense que les usagers vont sentir l’attention qui leur est portée.

MH : Le FUP est un point de croisement majeur : entre la gare RER D La Plaine Stade de France et la gare Saint-Denis Pleyel qui sera desservie par quatre nouvelles lignes de métro. Mais ce n’est pas un simple lieu de passage : il va devenir un centre névralgique de la ville, il faut donc qu’il ait sa propre ambiance, sa propre vie ! Ce pont habité sera une signature urbaine et une reconquête de la ville sur un espace qui jusqu’ici lui était interdit.

" L’espace public est par essence celui de la démocratie, un espace offert à tous. Je pense que les usagers du FUP vont sentir l’attention qui leur est portée. "

Marc Mimram, architecte maître d'oeuvre du FUP

 

L’idée d’un franchissement du faisceau ferré est dans les cartons depuis des décennies, quelles ont été les difficultés liées à cette temporalité ?

MH : L’idée est née au début des années 90 : la difficulté principale a été de maintenir dans la durée un projet de franchissement qui demandait un travail de planification urbaine considérable. Bien sûr, conduire un chantier en milieu ferroviaire comporte des contraintes particulières, et à ce titre je suis très heureux que nous ayons pu collaborer étroitement avec la SNCF pour organiser les travaux.

Enfin et peut-être surtout, pour un chantier de cette ampleur, il a fallu s’assurer de la faisabilité financière du projet. Nous avons su démontrer notre capacité à tenir les délais et faire face aux contraintes pour solidifier nos relations avec nos partenaires : La Société du Grand Paris, mais aussi la Région, la Métropole, le conseil départemental de Seine-Saint-Denis. Je les ai remerciés de cette confiance. Cette confiance nouvelle dans notre capacité à faire et à piloter.

MM : Un ouvrage d’art ça se fait en moyenne en 6-7 ans et en tant que maître d'œuvre nous travaillons sur ce projet depuis 10 ans. Pour moi ce n’est pas du temps long. C’est le temps de développement des projets d’infrastructure. C’est le temps nécessaire pour symboliser l’attention portée à cet espace public et le devenir de la ville à l’ouest.


À terme, un immeuble doit venir s’accoler à l’ouvrage, pouvez-vous nous en dire plus ? Peut-on imaginer à terme recouvrir d’autres parties du faisceau ferroviaire ?

MM : Dans le projet initial, il y avait l’idée d’adjoindre au pont un bâtiment qui pourrait accueillir des fonctions particulières. Particulières, parce qu’on ne peut pas construire au-dessus des voies ferroviaires une école maternelle ou des bureaux : il faut que ça symbolise la position particulière vis-à-vis de l’espace public. Je sais qu’on peut le faire parce que je l’ai fait à Austerlitz. Il faut que le foncier créé là, qui est gratuit, permette de réaliser une grande structure qui profite à tous et qui accompagne le développement du quartier Pleyel.

MH : Le bâtiment-pont est une composante essentielle du projet urbain Pleyel en cours de définition sur le quartier. Des études sont actuellement réalisées concernant son montage et sa programmation. Nous y travaillons et je ferai des annonces importantes dans les mois qui viennent. Pour l’instant, il n’y a pas d’autre franchissement à l’étude sur le faisceau ferré, mais d’autres passerelles et connexions urbaines seront livrées sur le territoire pour connecter les quartiers et les équipements : au Franc-Moisin, à L'Ile-Saint-Denis, entre Aubervilliers et Saint-Denis par-dessus le canal, à La Courneuve demain, sans compter la passerelle que nous avons déjà inaugurée entre le Stade de France et le Centre Aquatique Olympique !

(1) La charte d'Athènes tire son nom d'une publication de Le Corbusier de 1943 faisant suite à un congrès international d'architecture moderne (CIAM) qui s'est tenu en 1933. Elle énonce les grands principes du fonctionnalisme en architecture et en urbanisme. Ils ont été mis en œuvre à vaste échelle dans les opérations d'aménagement urbain après la Seconde Guerre mondiale et en particulier dans les quartiers de grands ensembles dans les ZUP et les villes nouvelles. Ses principes reposent sur la planification urbaine et la séparation des fonctions dans l'espace (à l'intérieur du logement et à l'échelle de la ville) qui ont donné lieu à l'urbanisme par zonage.

Marc Mimram en quelques mots

 

Marc Mimram est un ingénieur et architecte français à l'origine de nombreuses réalisations en france et dans le monde entier, aussi bien d'ouvrages d'arts que de logements ou d'équipements publics. Il est également professeur à l'Ecole d'architecture de la ville et des territoires Paris-Est.

Connu pour avoir conçu de nombreux ponts parmi lesquels le pont de Feng Hua à Tianjin en Chine, le pont Hassan-II (sur le Bouregreg) à Rabat au Maroc ou le Pont léopold-Sédar-Senghor à Nantes, il remporte en 2016 avec son cabinet le concours international de maîtrise d'oeuvre du FUP, inauguré huit ans plus tard en mai 2024.