Quartier Pleyel : une nouvelle identité nocturne en questions

Saint-Denis | Urbanisme

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Entretien avec les acteurs à l'œuvre sur le projet urbain

Aménagements lumineux sur le parvis de la Gare Saint-Denis Pleyel à la tombée du jour. © Société du Grand Paris / Agence Kengo Kuma & Associates

Porté par l'arrivée de l'une des plus grandes gares du futur Grand Paris Express, le quartier Pleyel se réinvente à Saint-Denis pour devenir à horizon 2030 un nouveau quartier de tourisme, de culture et de loisirs au cœur du territoire. Une identité pour une nouvelle centralité amenée à vivre la nuit, avec tout ce que cela implique en termes d'aménagement. Entretien avec différents acteurs mobilisés sur le projet urbain : Plaine Commune, le cabinet d'architectes urbanistes Saison Menu et associés, le bureau de paysages Empreintes et Les Eclairagistes Associés. 

En quoi consistent les études de préfiguration réalisées ces deux dernières années au sein du quartier Pleyel. En quoi influencent-t-elles la future programmation d’espaces publics de celui-ci ?

Marianne Garric, responsable aménagement à Plaine Commune : Dès 2021, nous amorçons des études d’abord de programmation avec le cabinet Voltere puis une étude urbaine (D&A Associés) pour nous accompagner dans la définition du projet futur pour le quartier : créer une nouvelle destination de tourisme et de loisir, au rayonnement métropolitain mais s’inscrivant également dans un ancrage fort pour les habitants de notre territoire. Rapidement le rôle des espaces publics apparaît central dans la réussite du projet. Dans un quartier «mouchoir de poche », avec peu d’espaces disponibles, l’équation n’est pas simple pour concilier l’ensemble des enjeux pour nos futurs espaces publics : gestion des flux, parcours, animation, expérience et rencontre, rafraichissement : La réussite de la destination passera par l’enjeu de concevoir autrement !

Notre conviction première est, dans la continuité du Franchissement Urbain Pleyel, lieu de passage iconique ouvert en 2024 mais également lieu de vie, de concevoir des espaces publics différenciant, des repères. Faire de Pleyel un lieu où l’on saura qu’on n’est pas n’importe où ailleurs dans la métropole mais bien sur le territoire, à Saint-Denis. 

Qu’ont révélé ces études sur les usages des espaces publics la nuit dans le quartier Pleyel, et quelles sont les projections pour le futur quartier à venir ?

Marianne Garric : L'idée qui a rapidement pris forme dans les études réalisées, c'est de multiplier les expériences et les usages, avec le rôle central de l'ambiance, de jour comme de nuit. L'ambition portée d’espaces publics, à la croisée de lieu de vie des habitants, de destination et de fête, de parcours touristiques et quotidiens, a rapidement mis l’enjeu de la nuit au cœur de nos réflexions. Par l’évènementiel, et la programmation donc, mais aussi par l’ambiance, notion centrale, pour construire l’identité unique souhaitée par le futur quartier.Dans cette perspective, la lumière sera un fil rouge de notre travail à venir, mettant en scène le récit du projet, de la destination. Pour accompagner les parcours. Créer l’atmosphère la nuit, créer l’expérience, en mettant en scène le récit du projet.

Qu’implique l’aménagement d’un nouveau quartier de destinations, d’hospitalités et de loisirs même la nuit concernant l’animation des espaces publics ?

Isabelle Menu (cabinet Saison Menu & Associés) : Notre travail s'inscrit à différents niveaux de par la qualité et la diversité des programmes envisagés, des notions d'espaces différenciés aussi bien en hauteur qu'au sol. C'est un projet d'une grande complexité de par les différentes fonctions du quartier, à la fois résidentiel et touristique autour de nouveau hub qu'est la gare Saint-Denis Pleyel, avec tout ce que cela implique en terme de flux de population.  Cette intensité sera mouvante en fonction des espaces, du parvis de la gare au parc, en passant par les bords d'infrastructures. À nous d'organiser la gestion différenciées des usages "slow" ou "fast" qui sont au coeur du projet pour garantir la qualité de tous les usages de jour comme de nuit, et que cette nouvelle intensité métropolitaine rayonne, qu'elle soit un plus dans l'espace public, aussi bien pour les résidents que pour les visiteurs.  

Comment envisage-t-on la cohabitation de ces activités festives et de loisirs le soir avec la partie résidentielle du quartier, afin de limiter les risques de nuisance sonore notamment ? 

Isabelle Menu (cabinet Saison Menu & Associés) :  La question de la quiétude est très importante dans nos villes contemporaines, mais il ne faut pas chasser la fête. Notre agence étant à Lille, on est souvent amenés à se rendre sur des sites en Belgique qui rencontrent des problématiques de valorisation des secteurs à proximité des gares, par le développement d'activités culturelles et festives. On remarque que la fête, quand elle est bien encadrée, n'est pas une gêne. Dans l'espace public, les bords d'infrastructure, notamment des programmes à vocation culturelle, peuvent être propices à cette idée de fête à ciel ouvert, surtout l'été, où le temps de la nuit est plus court. Le parc va également jouer un rôle en fonction des saisons.  Là encore, il faut envisager différentes fonctions à ces socles en fonction des temporalités. On va forcément travailler à ne pas mettre en contact direct les usages les plus opposés, mais on est encore très en amont. Les personnes amenées à vivre dans le quartier viennent également profiter de cette offre, qui sera également beaucoup indoor, ils profiteront de cette attractivité.

Le projet intègre un grand parc en cœur de quartier. Comment sont envisagés les usages nocturnes autour et à l’intérieur du parc ? Des espaces et équipements sont-ils conçus pour favoriser ces usages (cheminements internes, détente, organisation d'évènements) ? 

Lucas Olivreau (Bureau de paysages Empreintes) : Là aussi les usages sont envisagés en fonction des temporalités. Celles des différentes tranches de la nuit, mais aussi celles des saisons. En été, le parc va avoir un rôle à jouer dans la dynamique culturelle du quartier la nuit. En ce sens, on a développé des programmes qui permettent de vivre dans le parc avec une guinguette avec des aménagements lumières spécifiques, un support de cinéma en plein air l'été, ou encore une halle végétale et culturelle qui pourra accueillir une programmation différenciée selon les saisons. Le reste de l'année, où le jour se couche plus tôt, il est davantage un lieu de calme et de quiétude, qui correspond à cette dynamique slow que l'on souhaite préserver icidans un quartier où l'intensité des flux sera élevée. 

 

Raphaël Jayol, lighting designer chez Les Eclairagistes Associés : L'aménagement lumière du parc s'appuie sur cette notion de temporalité nocturne, c'est-à -dire d'avoir des systèmes d'éclairages qui s'adaptent en fonction des besoins. On a notamment imaginé des cheminements où l'intensité des luminaires et candélabres varient en fonction de si quelqu'un l'empreinte ou non. Dans le cadre du Schéma Directeur d'Aménagement Lumière de Plaine Commune,  on a ce défi d’intégrer la notion de trame noire et d’assurer la sécurité des déplacements des usagers toute la nuit, en travaillant surdes ambiances lumineuses agréables et apaisantes qui doivent créer ce sentiment de sûreté dans le parc et aux alentours. L'éclairage a aussi un rôle d'indicateur pour les usagers dans l'espace public la nuit,  notamment que le parc est "en veille", que les gens dorment aux alentours et qu'il faut respecter cette quiétude. 

Le parc va également représenter un îlot de fraîcheur dans un quartier avec des flux importants et bordé par un "hub ferroviaire"...

Lucas Olivreau (Bureau de paysages Empreintes) : Tout à fait. L'eau va jouer un rôle important dans le parc avec différents bassins qui vont permettre une brumisation naturelle, permise par les évapotranspirations, et alimenter des îlots de biodiversité au cœur du parc. On souhaite planter le plus d'arbres possibles dans le parc et dans l'ensemble des espaces publics. Cela va permettre de rafraîchir tout le quartier,  notamment la nuit l'été, au milieu des façades et grandes hauteurs qui le caractérise. Le parc doit permettre un cadre de vie plus agréable dans les décennies qui vont suivre et qui seront impactées par le réchauffement climatique.

Quelle influence les nouveaux usages nocturnes envisagés ont-ils sur les aménagements liés à la circulation de différents types de mobilités dans le futur quartier ?

Isabelle Menu (cabinet Saison Menu & Associés) :  C'est pour nous la première étape du projet, et c'est dans ce sens que les premiers diagnostics vont être menés. Avant même de parler des différents espaces publics, on s'attache à identifier les différents flux autour de la gare pour ensuite sécuriser le bien commun par le sol. C'est-à-dire trouver les solutions pour chaque type d'usager, du piéton qui arrive par le nouveau Franchissement Urbain, aux espaces de circulation pour les voitures et les vélos. Il faut également très vite envisager les espaces qui vont accueillir les parkings nécessaires à la vie des programmes pour libérer le sol et permettre un cadre apaisé en cœur de quartier, limitant, entre autres, les nuisances nocturnes pour les riverains.

De même, quelle place occupe la question du genre dans la conception des espaces publics dans le travail mené sur le quartier Pleyel ? Comment l’aménage-t-on pour le rendre accueillant et sécurisant pour les usagères, surtout de nuit ?

Isabelle Menu (cabinet Saison Menu & Associés) : La question du genre est abordée dans l'ensemble des projets sur lesquels on est amenés à travailler. Cela passe par la sécurisation des lieux aussi bien de jour que de nuit, avec une attention toute particulière portée à la notion de ressenti, celle d'insécurité que l'on peut éprouver dans un espace en particulier. C'est un travail fin car il y a différentes typologies d'espaces publics. On ne réfléchit pas de la même manière sur cette question de ressenti, que l'on parle d'une rue ou d'un parc, avec des vues dégagées par exemple. Le soir et la nuit, la question de l'éclairage et des parcours lumineux est forcément au cœur des réflexions. Au niveau du sol, on l'envisage au travers l'idée de mouvement, c'est à dire quels parcours, quelles façades on doit longer pour aller d'un point A à un point B et comment ces espaces s'accommodent avec le domaine public. On identifie également les espaces de pause, ceux où les femmes peuvent être amenées à stationner, comment on sécurise ces endroits, en valorisant une sensation de confort plutôt qu'un sentiment d'exclusion. C'est le cas du parvis de la gare notamment.