Métabolisme urbain : à La Courneuve, l’art de la déconstruction soignée

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L'économie circulaire au service de l'aménagement de la ville de demain

Le site de l'usine KDI qui deviendra à horizon 2030 le nouveau centre-ville de La Courneuve. Crédit : SPL Plaine Commune Développement

Mobiliser les ressources matérielles et humaines du territoire dans les projets d'aménagement. Depuis 2022, le quartier de la mairie à La Courneuve est le théâtre d’une transformation importante. L'ancienne usine métallurgique KDI a été déconstruite pour laisser place en 2030 à un nouveau quartier de ville. Récit d'un chantier pas comme les autres sur le territoire qui illustre la démarche de métabolisme urbain de Plaine Commune. 

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Quelques monticules de béton concassé s’élèvent sur un terrain vague à perte de vue. C’est tout ce qu’il reste de l’usine métallurgique KDI, qui a été soigneusement déconstruite. Il y a quelques mois à peine, les tas de matériaux étaient beaucoup plus nombreux : briques, ferraille, chaises, moquettes ou luminaires… Ils ont été emportés par des entreprises du territoire qui leur donneront une seconde vie. Si tout se passe comme prévu, le béton concassé disparaîtra lui aussi. Il doit être utilisé en sous-couche des voiries du futur quartier.

Symbole du passé industriel de La Courneuve, l’usine KDI a été choisie par Plaine Commune comme site pilote pour déployer sa politique de Métabolisme Urbain. Elle réunit en effet plusieurs facteurs d’intérêt, du volume des bâtiments à détruire à la présence de matériaux valorisables en réemploi. Le site appartient également à la SPL Plaine Commune Développement qui est maître d’ouvrage et aménageur, « c’était une bonne manière de les embarquer dans la démarche » explique Justine Emringer, cheffe de projet métabolisme urbain à Plaine Commune. 

Se réapproprier les flux

Responsable de la mise en œuvre et du déploiement de cette politique décidée par la collectivité en 2017, Justine Emringer en précise le périmètre : « Je suis spécialisée sur le BTP, mon enjeu principal est de réduire les déchets générés sur les chantiers. De faire en sorte que les éventuels déchets trouvent une deuxième vie et de réduire la consommation de ressources naturelles pour la construction. »

L’enjeu est important à Plaine Commune, dont 40% du territoire aura muté d’ici 2050, du fait des chantiers en cours et à venir. Particulièrement gourmand en ressources et gros producteur de déchets, le secteur du BTP est scruté. « Plaine Commune est très dépendante de l’extérieur, poursuit Justine Emringer. En capitalisant sur la mine urbaine, c’est-à-dire les matériaux qui sont sous nos pieds et qu’on avait pour réflexe de mettre à la poubelle lors des chantiers de démolition, nous nous réapproprions ces flux et nous nous rendons moins dépendants de l’extérieur. »

Du déchet à la ressource

Trois méthodes permettent de transformer un déchet en ressource : le réemploi, la réutilisation et le recyclage. On les distingue selon l’usage final de la ressource. Dans le premier cas, une porte reste une porte ; dans le second, elle est travaillée pour devenir une table et dans le troisième elle peut devenir du broyat. Et c’est ainsi que la friche industrielle devient une mine à ciel ouvert et que les monticules de matériaux deviennent du minerais précieux.

Mais il ne suffit pas de le décréter pour que la citrouille se change en carrosse. Encore faut-il savoir identifier et qualifier ces ressources, leur trouver une deuxième vie et les déposer avec soin - le terme désigne l’action de défaire un matériau sans le détruire. Jennifer Kozlowski, chargée d'opération  à la SPL témoigne : « C’est tout un travail fin entre les entreprises et les assistants à maîtrise d’ouvrage spécialisée dans le réemploi, pour identifier un maximum de matériaux qui peuvent être réemployés, les tester et ajuster les choses. Nous travaillons avec des experts qui nous permettent d’avoir un vrai appui technique et d’atteindre les objectifs de l’EPT. »

Le rôle des plateformes

Maillon essentiel de la filière, la plateforme de réemploi fait le lien entre les acteurs. Certes, c’est là qu’on stocke les matériaux et qu’on leur trouve des repreneurs. Mais c’est aussi là qu’est travaillée la "matière première secondaire". Une petite équipe d’artisans touche-à-tout y bricole les matériaux, les nettoie et les répare. Le testing notamment - que ni celui qui déconstruit ni celui qui s’approvisionne ne prennent en charge - est souvent réalisé dans ces plateformes, en lien avec des contrôleurs techniques.

« Ce n’est pas un hasard si Plaine commune est un des premiers territoires à s’être lancé dans cette logique de métabolisme urbain » explique Justine Emringer. Au-delà de l’enjeu de sobriété, « les plateformes de réemploi développent des activités et des métiers qui se prêtent très bien à l’insertion et à l’économie sociale et solidaire. C’est de la montée en compétence pour des publics éloignés de l’emploi. ».

C’est l’autre point fort du site KDI, le phasage du chantier de déconstruction laissait une partie des halles inoccupée pendant quelques années. Des associations (garage solidaire, secours populaire) et des collectifs ont ainsi pu faire vivre le site en attente d'un projet. L’association RéaVie, spécialisée dans le réemploi, a également pu installer une plateforme temporaire sur place, des bureaux et un espace d'accueil au public dans près de 2000 m2 d’espace couvert. L'association a ensuite remporté un appel d'offre pour la dépose soignée des éléments de second oeuvre du site KDI , sur la base de critères techniques et financiers. Pour Jennifer Kozlowski : « Avoir RéaVie sur place s'est avérée être une opportunité. C’était très pratique d’un point de vue logistique, pour l’accueil du public et pour réduire au maximum le transport ». Une façon innovante de revitaliser le tissu industriel et les activités productives sur le territoire dans un contexte de prise en compte grandissante de la transition écologique et des nouvelles pratiques de consommation. 

Travail de dentelle

La première phase de déconstruction sélective s’est divisée en deux chantiers. Le premier est dans les mains de Réavie. Il s’agissait de déposer les éléments non structurels et non dangereux comme les chaises ou les fenêtres. Le second chantier a été confié à l'Entreprise de Construction Duarte (ECD) et William Perreault matériaux anciens, pour le désamiantage et de la dépose des éléments structurants, dont les briques particulièrement attendues. Sont-elles encore viables ? Quelle méthode pour les déposer ? Où iront-elles ensuite ?

Jennifer Kozlowski raconte : « Il a fallu qu’on adapte la méthode de dépose en fonction de comment réagissaient les matériaux. » Prises une à une, certaines briques devenaient friables, d’autres étaient inutilisables du fait de la présence de chaux. Une partie est donc déposée à l’unité, le reste par panneaux de 50 centimètres sur 50. Et selon, elles seront concassées pour terminer en sous-couche de voirie, ou réutilisées pour faire du mobilier, parfois sur le site KDI, parfois sur d’autres chantiers du territoire.

Créer l’écosystème

Pour parvenir à ses objectifs de réemploi, Plaine Commune a produit en 2019 une charte de l’économie circulaire. Elle centralise les exigences, les outils disponibles et le suivi attendu pour tous les projets du territoire. « La charte est notre bible » résume sobrement Jennifer Kozlowski. Y figurent notamment des tableaux de suivi, des annuaires d’acteurs, des books de réalisations… Mais surtout, nerf de la guerre, on y trouve les clausiers à faire apparaître dans les différents marchés publics pour rendre les objectifs contractuels.

« Ce sont des propositions de clauses que l’on peut copier coller dans les cahiers des charges et qui permettent de s’assurer que les entreprises jouent le jeu » explique Justine Emringer. En effet, « On a beaucoup laissé les choses se faire naturellement, mais cela ne suffit pas. La déconstruction fonctionne bien, mais il y a encore des réticences à utiliser du réemploi dans le neuf, ce qui crée un goulet d’étranglement pour les matériaux. De cette manière, on rend contractuel le fait d’acheter des matériaux de réemploi. C’est ce qui va créer la demande et boucler la boucle. »

La loi demande à ce que les chantiers de démolition atteignent un taux de 70% de valorisation des déchets. Plaine Commune entend pousser le curseur un peu plus loin, à 85%. De son côté, la SPL a souhaité inciter les déconstructeurs de l’usine KDI à aller encore plus loin dans la logique de réemploi en testant un système de bonus financier. Un coût supplémentaire porté par la SPL mais qui a porté ses fruits : l’opération KDI dépasse les 95% de valorisation. « De nouvelles activités apparaissent et nos partenaires montent en compétence. Il faut que les liens se resserrent. C’est tout un écosystème qui est en train de se développer dans le territoire » conclut Justine Emringer.